Il y a quelques semaines était organisé, à la Maison de la culture du Japon à Paris, haut lieu d’échange autour des disciplines japonaises implantées en France, un hommage aux pionniers de l’aïkido français, premiers élèves du fondateur Morihei Ueshiba à s’être expatriés hors des frontières pour faire connaître la discipline à-travers le monde.
Parmi eux Hiroshi Tada, 9e dan Aïkikaï, évoque alors « des débuts difficiles, pour une discipline qui partit de zéro, compte-tenu en plus des différences culturelles qui existent entre le Japon et l’Occident ».*(1)
En 1951, lorsque le premier d’entre eux, Minoru Mochizuki, arrive en France, ces différences culturelles sont évidentes. On ne pratique pas alors un art martial pour s’imprégner de la circulation des énergies ; on cherche l’impact, la résistance, et des techniques qui fascinent par leur application sur le terrain.
C’est la grande époque du judo, qui maximise les contraintes du corps et impose des chutes sévères. L’aïkido des débuts doit donc s’adapter, montrer ses points communs avec les disciplines déjà implantées et qui connaissent un certain succès.
Masamichi Noro, qui allait plus tard connaître une renommée internationale au-travers du kinomichi, discipline proche de l’aïkido de par ses principes, mais misant sur la souplesse et l’extrême fluidité de ses formes, propose au début des années 60 un aïkido « dur », très exigeant physiquement, tout droit hérité de l’approche martiale connue auprès d’O Senseï juste après-guerre.
« Ça n’avait rien à voir avec ce qu’on connaît aujourd’hui » explique Alfred, pratiquant des débuts, croisé sur les tatamis du Cercle Tisser, à Vincennes*(2). « Il était sec, la querelle l’amusait, c’était une époque où l’on aimait se tester. Quand il rentrait une technique il était prêt à casser, si cela servait à prouver l’efficacité martiale ».
Non que cet état de faits surprenne tant que cela aujourd’hui ; même si les codes ont évolué pour s’ouvrir à de plus nombreux pratiquants, pour s’adapter aussi à une époque nouvelle où les notions d’échange, de développement personnel, ont pris le pas sur l’impact physique, dans une discipline à forte valeur symbolique et qui centre son discours avant tout sur le mouvement.
L’efficacité martiale n’a pas disparu, mais est devenue un outil que l’on associe à d’autres, dans la maîtrise des principes et la nécessité de maintenir la communication dans l’échange.
Au moment de son expansion sur le sol japonais, juste après-guerre, l’aïkido se propose aux instances qui ont le plus besoin de son efficacité : c’est ainsi que Gozo Shioda, disciple d’O Senseï de la première heure, enseigne dans les années 50 aux forces de police de Tokyo, dont il va devenir le principal instructeur.
En France, c’est la SNCF qui accueille les premiers professeurs.
« Il y avait très peu de dojos à l’époque, rien à voir avec aujourd’hui, les senseï d’aïkido cherchaient à se faire inviter par les autres disciplines » se souvient Patrice Reuschlé, professeur 5e dan et cheminot de métier.
Ainsi la gare du Nord à Paris sert-elle de théâtre à l’aïkido des débuts, où elle accueille notamment Tadashi Abe (1952), Mutsuharu Nakazono (1961), Nobuyoshi Tamura (1964), Masamichi Noro (1965), tous disciples directs d’O Senseï et précurseurs de l’aïkido sur notre sol. *(3)
Clin d’œil de l’Histoire, c’est parmi les trains en partance – la verrière du dojo originel donne effectivement sur les voies – que prennent forme à Paris les travaux des premiers maîtres de la discipline.
Comme si le mouvement perpétuel des uns faisait écho à celui des autres…
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